DES SIÈCLES APRÈS, CES REGARDS SONT TOUJOURS VIVANTS
Avant de traverser Le Caire, puis de se jeterdans la Méditerranée, le Nil longe la dépression du Fayoum, qu’un canal irrigue depuis l’Antiquité. Située à quarante-cinq mètresau-dessous du niveau de la mer, c’est une région naturellement fertile,connue pour ses fleurs et ses fruits. Riche, elle le fut aussi artistiquement.De là nous viennent les premiers portraits peints, voici quelque deux mille ans...
IL s’agit des plus anciens portraits peints qui subsistent : ils ont été exécutés alors que s’écrivaient les Evangiles du Nouveau Testament. Pourquoi les personnages représentés ont-ils tant de présence ? Pourquoi ont-ils une individualité qui ressemble, à s’y méprendre, à la nôtre ? Pourquoi ont-ils l’air d’être de notre temps bien plus que n’importe quelle autre oeuvre des deux mille ans d’art européen traditionnel qui ont suivi ? Les portraits du Fayoum nous émeuvent comme s’ils avaient été peints le mois dernier. Pourquoi ? C’est cela leur énigme.
Pour faire bref, le mot de cette énigme pourrait bien être qu’ils appartiennent à une forme d’art hybride, totalement bâtarde, et que leur hétérogénéité est en harmonie avec un aspect de notre situation actuelle. Mais pour rendre cela compréhensible, il nous faut procéder pas à pas.
Ces portraits sont peints sur bois - souvent le tilleul - ou, pour certains, sur lin. Les visages sont légèrement plus petits que nature. Un certain nombre de ces tableaux ont été peints à la détrempe, mais le procédé le plus souvent utilisé est l’encaustique, qui consiste à mélanger les couleurs à de la cire d’abeille et à les appliquer à chaud si la cire est pure, à froid si elle a été émulsionnée.
On peut suivre, encore aujourd’hui, les coups de pinceau du peintre ou les marques de la lame dont il s’est servi pour étaler la couleur. Le fond d’apprêt sur lequel les portraits ont été exécutés était sombre, les peintres du Fayoum allant du foncé au clair.
Ce qu’aucune reproduction ne peut faire saisir, c’est l’appétissante saveur de ces anciens pigments. En plus de l’or, les peintres utilisaient quatre couleurs : le noir, le rouge et deux ocres. La chair que ces pigments leur ont permis de peindre fait penser au pain même de la vie. Il s’agit de peintres gréco-égyptiens, les Grecs s’étant installés en Egypte à partir de la conquête d’Alexandre, quatre siècles plus tôt.