A l'aide d'outils de CAO 3D et de simulation numérique , la Grande Pyramide a en quelque sorte été reconstruite virtuellement, dans le but - réussi - de valider une hypothèse hardie : elle aurait été construite de l'intérieur.
Après huit années de recherche, l'aide d'une douzaine de spécialistes de Dassault Systèmes et grâce à des moyens informatiques lourds, un architecte, Jean-Pierre Houdin, vient de présenter une thèse très convaincante qui explique la construction de la Grande Pyramide, dite de Kheops. Erigée il y a 4 500 ans, à l'aube des civilisations, avant l'invention de la roue et du fer pour le pharaon Khufu, que les Grecs appelleront Kheops, ce monument de près de 150 mètres de hauteur à l'origine a toujours fasciné. Les secrets de sa construction ont été perdus par les Egyptiens eux-mêmes. Plus de deux mille ans plus tard, le Grec Hérodote tente déjà de comprendre comment un tel géant a pu être élevé et évoque de mystérieuses machines, fonctionnant comme des grues.
Un couloir interne courant juste sous la surface le pyramide : c'est l'hypothèse de Jean-Pierre Houdin. A chaque angle, une encoche à ciel ouvert permet de manœuvrer les
pierres pour leur faire prendre le virage. Grâce à lui, il est possible de monter les pierres jusqu'au sommet. Une rampe externe est visible également, mais elle est très réduite et ne sert qu'à
la descente des ouvriers.
Depuis, on ne compte plus les hypothèses imaginées pour reconstituer la méthode des bâtisseurs égyptiens, des plus plausibles aux plus farfelues. C'est ce qu'évoquait un jour de 1999 François de Closets dans une émission télévisée. Devant son poste, le père de Jean-Pierre Houdin, qui fut un professionnel du BTP, se dit que tout ça ne tient pas debout et se demande comment lui-même s'y serait pris. Il aurait, pense-t-il, démarré la construction par le parement externe. Ainsi, la forme de l'édifice est plus facilement contrôlée tandis que l'intérieur peut être empli avec des pierres de tailles diverses, grossièrement ajustées. Seconde idée : aménager une galerie interne, quelques mètres seulement derrière la paroi, avec une pente faible, qui serpentera jusqu'au sommet, permettant d'acheminer les pierres tout au long de la construction.
Reconstituer le chantier
C'est son fils qui s'attelle à la tâche de mettre à l'épreuve cette vision avec une autre idée : faire appel aux outils informatiques de CAO et de simulation numérique utilisés par les industriels pour mettre au point un produit. Aujourd'hui, les constructeurs d'automobile n'ont plus guère besoin d'effectuer un test réel de crash sur un nouveau véhicule : c'est un ordinateur qui simule les chocs les plus variés et qui calcule précisément les effets de l'impact. De même, des logiciels spécialisés peuvent simuler toutes les étapes de la fabrication. Alors pourquoi pas réaliser ainsi la construction d'une pyramide, en vérifiant que tous les processus sont réalistes, puis d'en tester la solidité ?
Jean-Pierre Houdin parvient à convaincre Dassault Systèmes, qui lance une équipe sur ce problème avec quatre outils informatiques. Avec Catia, un logiciel de CAO, la pyramide sera construite virtuellement comme s'il s'agissait d'un téléphone portable ou d'un avion. Delmia simulera le chantier, en prenant en compte tous les paramètres possibles, cotes du terrain, masses à transporter, frottements, force humaine, résistance des cordages de l'époque, etc. Simulia sera mis à contribution pour calculer les efforts au sein du bâtiment. Enfin, Virtools, un logiciel de visualisation 3D, construira une véritable maquette en trois dimensions dans laquelle il sera possible de se déplacer pour vérifier un détail, comme le passage d'une corde ou le réalisme d'une opération de levage.
Le contrepoids descendant dans la grande galerie, à l'opposé de la rampe d'accès, aide à hisser ce bloc de granit de plus de 60 tonnes sur le niveau 43 mètres de la pyramide
en chantier.
Crédit : Dassault Systèmes
Après deux années de simulation, la réussite est au rendez-vous. La thèse de la construction par l'extérieur avec l'utilisation d'une galerie interne est complètement validée : les Egyptiens de l'époque aurait pu s'y prendre ainsi, c'est certain. Au passage, d'autres mystères s'éclaircissent. La grande galerie, couloir intérieur immense et incliné, menant la chambre du roi, là où repose le tombeau, est un conduit dans lequel circulait un funiculaire à contrepoids. Voilà expliquées l'absence de décorations, les traces de frottement qui s'y trouvent encore et ses dimensions mêmes, qui collent parfaitement à cette utilisation. Mieux encore, les simulations logicielles des efforts sur la chambre du roi ont généré trois fissures dans trois des cinq plafonds de granit, exactement là où on les observe dans la pyramide !
Jean-Pierre Houdin montre une image de la chambre du Roi. L'ordinateur a appliqué les forces s'exerçant sur ce monument interne quand la pyramide l'a recouvert, et en tenant
compte d'un petit affaissement sur l'un des piliers. Résultat : trois fissures apparaissent à l'écran là où elles existent bel et bien !
Jour par jour, toute la construction a pu être intégralement reproduite, avec calcul du nombre d'ouvriers, des masses de pierres à tailler, du temps nécessaire à chaque tâche et des détails mécaniques de chaque opération. Bilan : il faut vingt ans et 4 000 hommes, ce qui correspond aux estimations.
La galerie a peut-être déjà laissé des traces…
Mais cette belle histoire n'est pour l'instant qu'une possibilité. Il reste encore à dénicher des preuves, notamment la présence de la fameuse galerie interne, qui doit toujours se trouver là. Or, on l'a peut-être déjà trouvée ! Dans les années 1980, une équipe française avait en effet étudié la pyramide par gravimétrie à la recherche d'une chambre supplémentaire. Mais c'est une curieuse anomalie qui a été relevée : un déficit de masse formant une sorte de spirale carrée, juste derrière la paroi et grimpant jusqu'au sommet. Bref, exactement la galerie de l'hypothèse ! A l'époque, ce résultat n'avait pas été analysé et on avait failli l'oublier.
Mais pour l'équipe, ce bon argument ne suffit pas. Prochainement, des études non invasives (car il est hors de question de défoncer les parois…) seront menées sur place, notamment à l'aide de la gravimétrie, encore une fois, et de la détection d'émission en infrarouge. Cette dernière permettra de mesurer précisément le refroidissement nocturne et le réchauffement diurne, qui ne sont pas uniformes tout autour de la pyramide et qui pourraient révéler des structures internes.
Cerise sur le gâteau, les images en 3D sont superbes et d'ailleurs visibles sur le site web consacré au sujet. Il mérite la balade !